« Le documentaire, c’est le jazz du cinéma »

« Le documentaire, c’est le jazz du cinéma »
11/03/2014

Rencontre avec Richard Copans, producteur, réalisateur et fondateur de la société « Les Films d’Ici »

 

Jimmy Vivante : Bonjour Richard Copans. Vous serez demain au Triton pour enregistrer la musique de votre nouveau film « Un amour ». Vous avez fait appel à deux très grands musiciens de jazz et improvisateurs que sont Michel Portal et Vincent Peirani. Vous aviez déjà travaillé avec Barre Phillips sur plusieurs films que vous aviez produits ou réalisés comme « Route One USA », « Racines ». Etes-vous personnellement féru d’improvisation ou bien, est-ce un choix artistique au service de vos films ?

 

Richard Copans : Bonjour. Pour bien répondre, je suis obligé de repartir en arrière. D’abord, mon père a fait des émissions de jazz à la radio pendant 50 ans, j’ai grandi avec le jazz, j’en écoutais tous les jours. J’ai assisté à beaucoup de très beaux concerts. J’ai été écouter Duke Ellington à la salle Pleyel, j’ai vu Coltrane. Donc, de façon naturelle, familiale, le jazz, c’est ma musique ! En 1976, mon père a créé le festival de jazz à Souillac, un festival qui a encore lieu chaque année, juste à côté de la maison où je vais en vacances. Voilà le premier élément, ce sont des données familiales. J’aime le jazz, ce qui ne m’empêche pas d’aussi aimer la musique classique, l’opéra, les musiques du monde… Ce n’est pas un attachement exclusif pour le jazz mais bien sûr, c’est autre chose ! Ensuite, il y a une deuxième raison, à savoir que depuis toujours, j’aime le documentaire. J’aime faire du documentaire parce que justement, j’aime faire un cinéma dont la forme s’improvise au moment où on la fait. On commence un plan et on ne sait pas comment il va se terminer, on peut commencer un film avec une idée et finalement faire différemment. Maintenant, j’ai une formule pour cristalliser cette idée-là : le documentaire, c’est le jazz du cinéma. Quand on y réfléchit, le cinéma de fiction a sa partition, il faut bien l’interpréter, bien le diriger, mais il a sa partition. On peut lire le scénario avant, puis voir le film, et on se dit qu’en gros, ça ressemble. Le film documentaire non ! On peut lire un scénario, faire autre chose, filmer, monter autrement et au final, on ne pourra écrire le scénario qu’une fois le film fini. Ça, ça se retrouve évidemment dans le jazz, dans n’importe quel morceau de Charly Parker, de Don Cherry ou de Michel Portal ; vous aurez un thème, éventuellement un tempo et la partition, vous ne l’aurez qu’à la fin de l’interprétation, qui aura sans doute duré trois fois plus longtemps que prévu. Il y a une vraie parenté. Je pense qu’au fond, c’est parce que j’aime le jazz, que j’aime le documentaire. J’ai eu, depuis tout petit, cette culture de l’improvisation, l’idée qu’on commence un morceau dont on ne sait pas très bien où il va, ce qui n’enlève rien par ailleurs au travail qu’il y a derrière tout ça. Pour toutes ces raisons, c’est vrai que dans mes films, j’aime travailler avec des musiciens de jazz. J’aime le fait que le jazz vienne perturber les choses, donner une forme nouvelle au film.

 

JV : C’était donc naturel pour vous que de travailler avec des jazzmen pour votre nouveau film, qui raconte l’l’histoire d’amour de vos parents ?

 

RC : Oui, bien sûr ! Dès le début, je savais que j’allais travailler avec des musiciens de jazz pour ce film. En juillet dernier, au festival de Souillac, j’ai filmé le concert de Michel Portal et Vincent Peirani et il y a eu un morceau que j’ai tout de suite repéré pour « Un amour ». Sur toutes les séquences, il marchait, c’était toujours juste. Ce n’est pas simple pourtant, c’est toujours même un peu magique quand ça fonctionne. Là, c’était évident, c’était la musique du film. Ils ont eux-mêmes, sans le savoir, composé telle quelle la musique de mon film. Je suis retourné les voir jouer en concert, on en a discuté, ils sont venus voir le film et voilà, on enregistre demain au Triton.

 

JV : C’est plutôt rare que les choses se passent dans ce sens là, non ?

 

RC : Oui, c’est rare. Pour « Racines », mon film précédent, c’était différent. Je voulais absolument Barre Phillips que je connais depuis très longtemps. Il a été le musicien de tous les films de Robert Kramer que j’ai accompagné pendant 20 ans et avec qui on a notamment fait « Route One » avec la musique de Barre Phillips et Michel Petrucciani. Lorsque j’ai fait « Racines », deux ans après la mort de Robert Kramer, je voulais de ne pas perdre ce qu’il avait été et du coup, j’ai naturellement pensé à Barre pour la musique. Ça a été une expérience super. Il a pris un jeune saxophoniste et ils ont fait une musique sublime. Ils ont d’abord travaillé chez lui, à Sainte-Philomène avant d’enregistrer en studio. J’ai été les écouter un après-midi. Ils n’avaient jamais joué ensemble et avaient devant les yeux les cinq notes que Barre avait écrites sur un bout de papier. Ils enregistraient avec un petit machin qu’ils avaient posé sur la table. Sur les cinq morceaux qu’ils ont joué, il y en a eu un particulièrement extraordinaire, à tel point qu’on a gardé pour le film cette version du dictaphone et pas celle qu’on avait enregistrée plus tard ! Il y a avait tout, l’atmosphère, l’ouverture au monde que je voulais dans le film, le fait à nouveau que la musique venait bouleverser mon film. C’est ça ce qui est fantastique avec le jazz, et voilà pourquoi Peirani et Portal pour mon nouveau film !

 

JV : Votre nouveau film, justement, pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

 

RC : C’est donc l’histoire d’amour de mes parents. Je démarre avant qu’ils ne se connaissent. Ma mère, Lucienne, est française, elle vit à Soissons chez son père contre qui elle est en révolte. Elle se fait émanciper, vient à Paris et travaille comme libraire chez Gallimard. Mon père, Simon, c’est un fils de juif lituanien, émigré depuis relativement peu aux Etats-Unis. Il commence là-bas des études d’avocat qu’il abandonne lorsqu’il obtient une bourse pour rejoindre la France en 1931. Il tombe littéralement amoureux de ce pays où il reviendra en 1938 pour réaliser sa thèse de doctorat en littérature. Dans les années 1930, en France, mes deux parents se politisent : mon père est dans le syndicat des étudiants, probablement aux jeunesse communistes, ma mère fait quant à elle partie de l’organisme d’éducation populaire Peuple et Culture. C’est grâce à Peuple et Culture d’ailleurs que mes parents se rencontrent lors d’une visite organisée de la cathédrale de Chartres en mai 1939 où Ils tombent amoureux. Ils soutiennent en France les derniers résistants républicains espagnols avant de partir aux Etats-Unis où ils se marient. En pleine période des « vaches maigres », ils connaissent une pauvreté très dure, lui étudiant qui finit sa thèse sans un rond, et elle, qui a du mal à trouver du travail et qui ne parle pas anglais. Mon père revient en France avec l’armée américaine, comme soldat, pour « combattre le fascisme pour de vrai » et pas simplement, en « donnant des cours de français à des officiers américains ». Comme il parle parfaitement français, on lui donne un camion avec un haut-parleur. Il va dans les villages, il passe du jazz, donne des nouvelles, et devient alors homme de radio. Lorsqu’il arrive à Paris, il démarre un studio de radio, d’abord avec l’armée américaine, puis avec la Voix de l’Amérique. Ma mère le rejoint avec mon frère en 1945 mais ils projettent de repartir à New-York. Avec le maccarthisme, ils décident finalement de rester en France. Pour ce film, mon idée était de respecter les déplacements et donc de filmer traces par traces. Avec des photos, des rencontres et un récit en voix-off pour donner le rythme. C’est pour cela que j’ai voulu travailler avec l’écrivain Marie Nimier, qui a écrit un superbe texte littéraire, tantôt dit par la voix-off, tantôt lu par les personnes que je rencontre. C’est ce partage de la voix-off et du texte qui fait que ça reste un documentaire.

 

JV : Ce film sera produit par « Les Films d’Ici », une société de production que vous avez monté en 1984. Comment le jeune cinéaste militant que vous étiez, avait imaginé le rôle de cette structure il y a 30 ans ?

 

RC : Il y a deux points importants. Le premier, c’est justement que c’est à travers le cinéma militant que j’ai pris goût à la production. C’est le plaisir de partir de rien pour finalement arriver à un film. C’est cette idée qui m’a plu. Pourtant je n’étais pas du tout parti pour être producteur, je n’avais rien étudié, j’étais nul en commerce, mais c’est la volonté d’incarner nos idées, de faire le film jusqu’au bout, qui m’a amené à la production. L’autre élément important, c’est lorsqu’au début des années 1980, en pleine guerre du Liban, une amie d’école m’appelle en me disant qu’elle vient de tourner avec un jeune réalisateur, que l’idée est géniale et qu’ils n’ont pas d’argent pour payer le labo. Je lui ai répondu que je le paierai moi. Je me suis endetté, j’ai payé le labo, et le film s’est fait. C’était un des premiers films d’Amos Gitaï, dont j’ai produit les trois premiers films en France. Ce qu’Amos m’a donné, c’est le respect de l’idée de l’auteur, de son regard. Le producteur est là pour réincarner la politique des auteurs dans le documentaire. C’est aussi ça qui a défini le projet des « Films d’Ici », de produire des films parce qu’on veut que tel artiste  puisse finaliser et faire voir son œuvre. Dans les années 1980, avec mes associés Yves Jeanneau et Serge Lalou, on a profité d’une politique d’État en faveur de la production indépendante. On était au bon moment, au bon endroit, avec des réalisateurs pas connus comme Nicolas Philibert, Denis Gheerbrant et d’autres plus connus comme Robert Kramer qui venait des Etats-Unis. On est devenu la maison qui a accueilli une dizaine de réalisateurs qui ont marqué le documentaire dans ces années-là. Puis, on a continué, on a grandi, on s’est trompé, on a recommencé, on a travaillé quoi ! 

 

Propos recueills par Jimmy Vivante le lundi 10 mars 

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