JOURNAL D'ARMEL VEILHAN AU TRITON

31/03/2016. Laurence Malherbe chante "Winterreise"

Imret Kertez est mort ce matin
Guitares électriques et cortèges de neige
Tournent boîtes à musique
Chantent dans nos rêves.

Ce microsillon sur la bibliothèque bleue, t'en souviens-tu ? Deutch Gramophone et Dieskau ? Corps voyageur au-dessus de la mer. En vingt-quatre lieders. Vingt-quatre énigmes que tu tentais de pénétrer. Mais comment comprendre le vieil homme et la mort ? Entendre son chant quand on a que douze ans ? Et pourtant si, tu en aimais quelque chose. Ne le nie pas, toi ou ton frère, vous remettiez le disque sur la platine.

Il y a des eaux, des crépuscules
Des chants de l'hiver avant de s'en aller mourir
Il y a des ombres, des lumières pour commencer de vivre.

Il y a des chants qui sont
Comme la mort aussi puissants que l'or
Pour qu'un seul témoin ne le dise avec sa plume d'or.

Mains dans la mains, la jeune fille et la mort
Pour ce voyage d'hiver vingt-quatre fois encore
Pour tous les matins où rien ne se passe et où rien ne revient
J'ai lu les pages du Refus.
Kaddish pour l'enfant qui ne naîtra pas.
Être sans destin.

Comment vous dire cette lecture au retour impossible ? Je l'ai reconnu cet hiver indélébile, cet orgue en barbarie. Et le lendemain, le concert résonne encore, gravé en un sommeil ébloui. Je regarde par la fenêtre. Le soleil est revenu. Der Wergweiser. Das Wirthaus. Ce chant de Schubert et Malherbe.

Gute Nacht bonne nuit,
Imret Kertez est mort
Je les vois elle et lui
Et puis Schubert aussi.

Le soleil est revenu. Oui comme il revient toujours après la tragédie. Après l'incendie. J'étais encore tout parsemé de pluie. C'est drôle il ne se passe rien ou presque.Vous avez remarqué ? Et puis tout arrive en même temps. Les signes se répondent soudain. Et moi j'allais voir le film d'un inconnu. J'avais reçu ces mots. Le ton était chaleureux Vous souvenez-vous de moi ?Je garde un si bon souvenir... vous savez cette lecture... Imre Kertez... cher monsieur, vous devriez voir ce film... Ce film sur Nissim Aloni. Il était une fois un roi. Et l'on croit le souvenir à soi seul ?

Imre Kertez
Laurence Malherbe
Frantz Schubert...
Tu comptais sur tes doigts le quatrième nom de ces deux journées
Celui qui manquait, celui de l'inconnu. Tu le prononçais pour la première fois. Nissim Aloni.

Ce film ? Comment vous dire ? Il était né en Bulgarie. Sa vie à Tel Aviv. Un roi de théâtre. Un roi de pure magie. La vie écrit son ordre mystérieux. Qui parfois apparaît au détour d'un jour, d'une rue. D'une combinaison de chiffres, de phrases, de noms. Tout s'agence en secret ? Et la vie et son chant ? Comme il t'arrive parfois, tu en restes stupéfait.

Montparnasse s'éclaire transparent dans le ciel. Vous connaissez ce ciel ? Cette lumière-là à deux pas de la Seine. Bleu très pâle aux nuages effilochés. Unique. Parfaitement heureuse. A Montparnasse, on peut encore entamer une conversation avec n'importe qui. Ces visages. Ces sourires. Ces terrasses au bord des précipices.

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