Angélique Ionatos s’installe au Triton pour une semaine de poésie et de liberté

Angélique Ionatos s’installe au Triton pour une semaine de poésie et de liberté
28/02/2014

Angélique Ionatos jouera son nouveau spectacle au Triton (mairie des Lilas) du mardi 4 au samedi 8 mars à 20h, accompagnée de Katerina Fotinaki et en alternance Claude Tchamitchian (les 4 et 5 mars) et Gaspar Claus (les 6, 7 et 8 mars)

Jimmy Vivante : Angélique, tu présenteras tout au long de la semaine prochaine ton nouveau projet « Et les rêves prendront leur revanche » au Triton. Peux-tu, avant tout, me dire quelques mots de ta relation avec ce lieu, que tu as décidé de soutenir et de « marrainer » il y a 15 ans ?

Angélique Ionatos : Le Triton et moi, c’est une longue histoire, c’est vrai. J’ai assisté à la naissance du Triton il y a longtemps, 15 ans déjà... D’abord pour moi, il y a la programmation de ce lieu qui est vraiment excellente. On y entend toutes les musiques que j’appellerai « contemporaines », que ça soit le jazz, la musique contemporaine, la chanson et la danse même puisqu’il y a les rencontres « Dodécadanse ». Le Triton, c’est vraiment une scène ; une salle qui mériterait d’avoir beaucoup de petits en France (rires). C’est une salle unique pour laquelle j’ai une très grande affection et je m’y sens toujours très bien.

JV : C’est bien entendu réciproque et tu participes d’ailleurs pour la 5ème fois au festival les Enchanteuses, dédié aux voix des femmes du monde, dont tu es aussi la marraine depuis sa création en 2004. Néanmoins, cette année est particulière puisque tu y joueras 5 soirs de suite et c’est également la première fois que tu auras une semaine pour présenter ce projet. Comment envisages-tu cette opportunité, ce temps long de travail dont tu disposeras ?

AI : Moi j’ai toujours beaucoup aimé les séries. J’aime le fait de m’installer dans le lieu. Il y a un côté moins éphémère que quand on va quelque part, qu’on joue, qu’on repart et qu’on rejoue ailleurs le lendemain. S’installer, c’est comme si on tissait un travail, comme si on permettait tout à coup de perfectionner quelque chose. Quand on est en tournée, c’est différent, c’est tous les jours une perpétuelle première quelque part. Avec la série, c’est également unique chaque soir, et encore plus là avec les changements de plateau entre le violoncelliste Gaspar Claus et le contrebassiste Claude Tchamitchian, mais de toute façon, il y a toujours ce quelque chose de plus fort. Pour les musiciens, c’est rare de s’installer vraiment quelque part et ça, c’est une très belle chose parce qu’on nous permet de parfaire notre musique.

JV : Angélique, tu es évidemment une intellectuelle en plus d’être une artiste. Ce spectacle me semble plus encore que les précédents empreint d’un message politique, lié très clairement à la situation actuelle de ton pays natal. Les rêves qui prennent leur revanche, n’est-ce pas pour toi l’urgence de remettre l’utopie et les idées au service du peuple grec ?

AI : Oui ! Evidemment, je suis avant tout une musicienne mais il n’empêche que la matière première de mon travail, de mon chant, ça a toujours été la poésie. Il y a une très belle expression du poète Gabriel Celaya qui disait que « la poésie est une arme chargée de futur ». C’est exactement ça, c’est-à-dire que la poésie se lève là où le raisonnement n’a plus d’arme. Moi, j’ai grandi avec cet amour de la poésie. Dans ma famille, ma mère nous a élevé en nous récitant des poèmes et je pense malheureusement que ce qui se passe en Grèce, c’est une tragédie. Le titre « Et les rêves prendront leur revanche », c’est une phrase du poème Prophétie du grec Elytis, qui est le poète que j’ai le plus mis en musique. Et c’est fou parce que quand je dis que les poètes sont en même temps des prophètes, c’est vraiment ça avec Elytis qui a écrit ces mots dans les années 1950. Dans ce poème, il parlait du sang des jeunes qui aura vieilli, des usines qui se seront vidées et qui après réquisition, se rempliront une nouvelle fois pour « produire des rêves en boîte », des années à venir qui ne feront que nous punir. Il terminait ce poème avec cette superbe phrase qui dit que « l’homme se lèvera de nouveau… Et les rêves prendront leur revanche et sèmeront des générations pour des siècles et des siècles ». En fait, c’est un chant d’espoir dans un monde de désespoir et c’est ce que j’ai essayé de faire dans ce spectacle avec Katerina et Gaspar qui sont d’une autre génération que moi. Donc même s’il y a des passages sombres, obscurs, il y a toujours, toujours cette phrase qui reste un peu comme un signet, qui trace le fil rouge. Evidemment, il y a aussi la musique qu’il ne faut pas oublier, parce que la musique est une formidable thérapie. Là, c’est une musique un peu plus violente et on sent dans mes nouvelles compositions une colère, forcément parce que je suis en colère (rires). Je ne peux pas ne pas l’être d’ailleurs puisque je vais très souvent voir la Grèce et ça me désespère chaque fois plus de voir ce qu’est devenu ce pays…

JV : D’un point de vue musical, cette série de 5 concerts est intéressante puisqu’elle t’a d’ores et déjà poussée à adapter ton spectacle avec notamment l’apport du grand improvisateur qu’est Claude Tchamitchian. Cette semaine au Triton sera-t-elle pour toi l’occasion de te laisser davantage aller au jeu de l’improvisation, de te découvrir plus que d’ordinaire ?

AI : Oui bien sûr ! « Tcham », enfin Claude Tchamitchian, c’est quelqu’un que je connais depuis maintenant 10 ans. On a fait un disque ensemble (Eros y muerte), on a beaucoup travaillé ensemble, dans des formations plutôt jazz avec Ramon Lopez à la batterie, Michael Nick au violon. Le fait de travailler avec des musiciens qui improvisent, moi qui était un peu timide par rapport à l’improvisation, ça m’a appris et on a vécu des choses magnifiques ensemble ! Dans mes chansons, même si ce sont des compositions écrites, je laisse toujours la liberté de créer, que ça soit à Katerina, à Gaspar et à Claude. Quand je suis avec des musiciens de ce gabarit-là, j’apprends à chaque instant et il y a toujours une part d’improvisation, une part de surprise. C’est ça que j’aime profondément dans la musique et c’est aussi pour ça que je n’aime pas faire des disques parce que le disque photographie un moment de ta vie et c’est figé tandis que la musique, ça devrait pour moi toujours être éphémère. Avec ce spectacle, il y a une place privilégiée pour l’improvisation grâce à la grande qualité des musiciens. Evidemment il y a Katerina Fotinaki, qui est une rythmicienne magnifique et puis il y a Claude ou Gaspar, et le spectacle est très différent selon que ça soit l’un ou l’autre qui joue. Gaspar a une jeunesse magnifique, il est plus lyrique avec son violoncelle, il a plus de fantaisie que Claude qui est un musicien plein d’expérience, un véritable monstre du rythme. Ça sera un grand bonheur de jouer avec l’un puis avec l’autre et un très grand bonheur aussi de jouer cette musique dans ce lieu !

Marion Lefebvre

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